La plateforme gratuite de l'Ordre des experts-comptables

La plateforme gratuite de l'Ordre des experts-comptables

 07 07 2025  |   PDP

Fin 2024, l'État annonçait officiellement l'abandon de son projet de Portail Public de Facturation (PPF), initialement conçu comme un outil gratuit et universel de transmission des factures électroniques pour les entreprises françaises. Cette décision est intervenue deux ans avant l'entrée en vigueur de l'obligation de facturation électronique pour toutes les entreprises de l'Hexagone.

Dans la foulée, l'Ordre des experts-comptables s'est rapidement emparé du sujet, communiquant en grande pompe sur le lancement imminent d'une plateforme gratuite de facturation électronique, en particulier à destination des TPE et PME. Une annonce perçue comme un geste altruiste... mais qui, quelques mois plus tard, ressemble davantage à un coup de communication bien orchestré qu'à une véritable solution pérenne.

Retour sur cette initiative qui s'apparente à un fiasco, et analyse des coûts réels derrière cette promesse de gratuité.

L'abandon du Portail Public de Facturation électronique

La réforme de la facturation électronique, amorcée dès 2021, prévoyait initialement plusieurs schémas possibles. Deux approches coexistaient pour permettre la transmission des factures dématérialisées :

  • Le premier, déjà en place, repose sur un modèle dit en « Y » :
    L'entreprise émet sa facture électronique via une plateforme de dématérialisation partenaire (PDP). Cette plateforme contrôle les aspects réglementaires (format, unicité du numéro, intégrité du document, etc.) avant de transmettre la facture au PDP de l'acheteur et d'envoyer les données essentielles à l'État via le Portail Public de Facturation (PPF).
  • Le second schéma, désormais abandonné, consistait à permettre aux entreprises de déposer directement leurs factures sur le PPF, un outil inspiré de Chorus Pro, mais élargi au secteur privé.

L'État a officiellement renoncé à cette deuxième option en octobre 2024. Cet abandon a suscité un tollé, notamment parmi les TPE et PME, inquiètes des coûts liés à l'utilisation des plateformes privées.

Les experts-comptables en sauveurs… puis en retrait

Face à ces critiques, l'Ordre des experts-comptables a saisi l'opportunité médiatique, se posant en « chevalier blanc » au service des petites entreprises. L'institution promettait le lancement d'une plateforme gratuite, en partenariat avec ECMA, éditeur de la solution jefacture.com, déjà bien connue dans le milieu.

Pourtant, dès le départ, la communication laissait entrevoir les limites de cette « gratuité ». L'Ordre évoquait une solution gratuite, mais réduite aux strictes fonctionnalités d'envoi et de réception des factures électroniques, sans aller jusqu'à proposer un logiciel de gestion complet.

Quelques mois plus tard, la promesse de gratuité s'effrite : la plateforme annoncée par l'Ordre se limite finalement à 10 factures par mois, englobant aussi bien les factures émises que reçues — une quantité dérisoire, même pour une très petite entreprise. (Voir Les Échos Entrepreneurs : Facturation électronique : les experts-comptables prennent le relais).

Sans surprise, face à la réalité économique et au calcul rapide du nombre de TPE en France, le projet de plateforme gratuite est discrètement enterré par l'Ordre des experts-comptables. À la différence de l'annonce tonitruante d'octobre 2024, le recul de l'Ordre s'est fait dans la plus grande discrétion, via un article passé relativement inaperçu : Les experts-comptables renoncent à la gratuité.

La vraie raison de l'abandon : entre coûts et intérêts commerciaux

Derrière l'argument officiel du coût prohibitif pour un tel service public, se cache également l'intérêt économique du partenaire ECMA. Début 2025, jefacture.com propose une offre à 7 € HT par mois, limitée à 200 factures par an — un total comptabilisant factures émises et reçues.

En calculant, cela revient à environ 0,42 € HT par facture, même en cas de sous-utilisation. Exemple concret : pour une entreprise émettant 50 factures clients, 3 abonnements et recevant 1 facture fournisseur par an, soit 98 factures au total, le coût réel grimpe à environ 0,85 € HT par facture. Un tarif conséquent, quand on considère que la facture électronique se résume souvent à un fichier XML accompagné d'un PDF — éléments qui, jusqu'alors, transitaient gratuitement par e-mail.

Ce modèle économique repose sur l'abonnement, garantissant une rente, même en l'absence de volumes importants.

Une alternative plus accessible était-elle possible ?

La véritable solution aurait été de proposer un outil de facturation électronique basique mais efficace, avec un coût maîtrisé de l'ordre de 0,15 € HT par facture, incluant uniquement les fonctions essentielles : émission et réception des factures conformes.

En définitive, la promesse initiale d'une plateforme gratuite portée par l'Ordre des experts-comptables s'est rapidement heurtée aux réalités économiques et aux intérêts commerciaux sous-jacents. Une initiative plus symbolique que structurelle, qui laisse, une fois de plus, les TPE et PME face aux défis financiers de la transition numérique imposée.